Leoben s’arrêta au détour d’un virage et contempla, non sans admiration, l’imposante montagne qui se dressait face à lui. Les puissants guerriers Cimmériens qui l’accompagnaient le rejoignirent. Guentter s’avança à ses côté, ses lourdes bottes cloutées s’enfonçant profondément dans la neige, sa grosse voix rocailleuse couvrit aisément le vent qui fouettait le visage des barbares.
- Crom ! Même le cul de la grosse Berna aurait l’air petit en s’asseyant dessus !
Quatre des cinq barbares derrière eux éclatèrent d’un rire puissant et sonore, même Leoben s’autorisa un sourire. Le Barbare qui ne rigolait pas se jeta sur Guentter et lui décrocha un violent croché dans la mâchoire. Le vieux guerrier chuta sous l’impact et fit voler la neige autour de lui. Le jeune barbare qui l’avait frappé se dressa face à lui, une vive colère animait les traits de son visage, le ton de reproche qu’il employait était sans animosité.
- Ne parles pas ainsi de ma cousine, Guentter !
Un autre barbare approcha et mis sa main sur l’épaule du jeune colérique.
- Voyons, Ewrdan, nous avons tous visité le cul de Berna à plusieurs reprises, tout le monde te confirmera qu’il pourrait tenir le col de Trannerg trois jours durant en cas d’invasion.
Ewrdan fixa son frère d’arme quelques instants, la colère disparut soudainement de son visage et ils partirent tous dans un grand éclat de rire. Le jeune barbare aida son vieil acolyte à se relever et lui donna une violente tape sur l’épaule qui fit tomber toute la neige que le vieux guerrier avait accumulé sur son manteau de fourrure.
Leoben ne prêta pas attention à l’hilarité de ses compagnons et plissa les yeux pour distinguer une forme à travers la neige qui tombait. Il tendit le bras dans sa direction.
- Le village de pêcheur est là-bas, pressons-nous mes frères, notre ennemi le plus redoutable, la soif, gagne de plus en plus de terrain.
Les Cimmériens se remirent en route et arrivèrent une heure après dans un petit village blottit au pied de la montagne. Le bâtiment de loin le plus imposant était la taverne de ce dernier. Ils pénétrèrent à l’intérieur et les occupants firent rapidement silence en les voyants.
Leoben et ses compagnons revêtaient d’épais manteau de fourrure qui ne dissimulait pas pour autant leur imposante musculature. De longues épées dépassaient de leurs vêtements et les regards puissants qui transperçaient leurs barbes épaisses indiquaient qu’ils savaient parfaitement s’en servir. Leoben s’avança parmi eux, il était le plus petit de ses compagnons mais dépassait d’une bonne tête le plus grand occupant de cette taverne. Il parla d’une voix puissante qui résonna dans toute la pièce.
- Je suis Leoben, fils de Lantoren, (Des murmures parcourent la salle, tous à des kilomètres à la ronde connaissait la réputation de ce héros barbare.) et voici mes compagnons. Nous venons voir Klegvort, le sage.
Les habitants du village se regardèrent, puis l’un d’eux s’avança.
- Seigneur Leoben, je suis Turjvil, fils de Gonnentar, le chef de ce village, Klegvort vit dans une grotte en haut de cette montagne. Je peux vous servir de guide et vous y conduire.
- J’accepte ta proposition, Turjvil fils de Gonnentar. Mais avant de partir, mes hommes et moi avons fait long voyage (Leoben regarda autour de lui et fronça légèrement les sourcils), je ne vois là que peu de boissons et point de femme. Dois-t-on considérer l’hospitalité de Gonnentar comme hostile ?
Le rouge monta immédiatement aux joues du jeune pêcheur.
- N’en prenez point ombrage, seigneur Leoben, mais le froid de l’hiver a gelé notre lac et nos réserves sont bien maigres. Mon père, Gonnentar, est parti avec d’autres hommes chercher des vivres au village voisin, en attendant, nous n’avons plus que ce que vous voyez devant vous. Quant aux femmes, elles ont quittés cette taverne depuis déjà cinq semaines pour rejoindre Tonnengurb, plus personnes passe par ici.
Guentter s’avança, la colère se mêla au mépris que le guerrier avait naturellement dans les yeux quand ces derniers se posaient sur un non-guerrier.
- Crom ! Devrons-nous alors culbuter vos propres femmes !? Elles découvriront peut-être ce qu’est réellement un homme !
L’insulte se devait immédiatement d’être relevée mais les pêcheurs étaient impuissant face à de tels guerriers, et tous avait conscience du pauvre accueil que leur village faisait aux visiteurs. Ils baissèrent tour à tour la tête sous le regard noir du vieux Cimmérien.
Leoben se retint d’intervenir, estimant que ces villageois devaient prendre conscience de la piètre hospitalité dont ils faisaient preuve. Le tavernier s’adressa à Guentter.
- Il me reste un tonneau entier d’une bonne bière à la cave, je le gardais pour fêter le dégèle du lac, mais il conviendra à vous autres, je l’espère.
Guentter s’assit à une table et frappa violement celle-ci du poing, des chopes se renversèrent et les occupants se levèrent pour laisser leur place.
- Pour sûr qu’il conviendra ! Amène ce tonneau et de quoi faire ripaille!
Le tavernier acquiesça et disparut dans la cave. Les guerriers barbares s’installèrent et Leoben invita Turjvil à les rejoindre. Les discussions reprirent sur un ton timide dans la taverne. Leoben fit asseoir le fils du chef à ses côtés.
- Pourquoi ne pas percer la glace pour pêcher ?
- Elle est trop solide et nos outils en acier trop usés. Nous avons essayé de différentes manières mais rien n’y fait.
- Si tu nous mène au sage, nous te laisserons de quoi percer la glace.
Turjvil inclina la tête.
- Merci à vous, seigneur Leoben. Je me permets de vous offrir l’hospitalité de ma demeure afin que vous logiez, nous pourront partir au matin.
- Nous partons ce soir même, Klegvort a envoyé un message à mon père, m’ordonnant de le rejoindre au plus vite, je ne peux me permettre de me reposer.
- Ce soir… une ascension en pleine jour est déjà très dangereuse, la nuit, c’est de la folie.
- Si Crom veut que nous mourions dans cette montagne, alors il en sera ainsi, mais dans le cas contraire, nous atteindrons Klegvort au plus vite.
Turjvil acquiesça sans aucune conviction.
Les barbares mangèrent et burent durant une heure, puis ils se levèrent et repartir aussitôt sous la neige après avoir maudit du regard une taverne si peu fournit. Le jeune pêcheur et l’un de ses amis se saisirent de torche et guidèrent les guerriers sur les flancs abrupts de la montagne.
Ils avancèrent ainsi durant de longues heures, s’enfonçant parfois de plusieurs dizaines de centimètres dans la neige, celle-ci ne cessait d’ailleurs pas de tomber et les barbares ne voyaient que quelques mètres devant eux. Les deux pêcheurs portaient des torches qu’il devait constamment alimenter et protéger du vent. Turjvil ne put contenir son admiration en voyant les immenses carrures des guerrier avancer implacablement, sans que la fatigue ni les conditions extrêmes ne semblent les déranger, leurs poids, deux à trois fois plus important que le sien, les faisaient s’enfoncer plus profondément encore dans la neige. L’effort ne leur semblait pas pourtant plus important.
Ils arrivèrent à un croisement et le jeune pêcheur monta au niveau du héros barbare. Il dut hurler pour couvrir le bruit du vent et désigna du doigt une faible lueur loin devant eux.
- Klegvort le sage se trouve dans cette grotte, mais le passage pour y aller est trop dangereux ! Nous devons contourner cette montagne, cela ne prendra que quelques heures de plus !
Turjvil craignait fortement d’entendre la réponse qui lui vint naturellement en retour.
- Nous prenons le chemin le plus court !
- Les éboulements sont fréquents…( un coup de vent ramena le jeune pêcheur en arrière et il dut lutter pour rejoindre de nouveau le jeune guerrier) et nous longerons le précipice.
Turjvil indiqua du doigt le village et le lac désormais minuscule en contrebas. Leoben ne répondit pas et s’engagea sur l’étroite corniche. Guntter passa juste derrière et donna une violente tape dans le dos du jeune pêcheur, le rire guttural du barbare accompagna ce geste qui se voulait amical.
Le groupe continua donc d’avancer sur un chemin large d’un petit mètre. Des éboulements se produisirent devant et derrière eux, Turjvil serait resté tétanisé par la peur si l’un des guerriers qui marchait derrière lui ne le poussait pas constamment de la main en avançant. Ce que le fils du chef craignait finit par arriver. De la neige leur tomba dessus, suivit de près par plusieurs rochers qui s’était détaché. L’éboulement arriva sur eux et sans les réflexes étonnamment rapides des barbares, ils seraient tous mort. Quand le vacarme fut finit, l’un des guerriers retenait ses cris avec rage. Turjvil vit qu’il était au sol et que sa main et son poignet était coincé sous une épaisse roche. Deux barbares accourent à ses côtés et tentèrent de soulever la pierre, en vain, ils constatèrent que l’avant-bras de leur compagnon était broyé. Turjvil les rejoignit et se retint de leur dire qu’il les avait prévenus. L’un des deux barbares saisit une torche pendant que l’autre dégaina son épée. Le pêcheur ne put retenir un hoquet de stupeur quand le guerrier trancha net l’avant bras de son compagnon. Celui-ci cria de douleur, un cri qui se transforma en hurlement quand l’autre compagnon maintint sans ménagement la torche sur son moignon. La plaie cautérisa rapidement et les barbares aidèrent leurs frères d’arme à se relever.
Turjvil resta interdit face à la rapidité et la violence de ce qui venait de se produire sous ses yeux. Il avait appris étant jeune, qu’un tel traitement ferait tomber le blessé dans l’inconscience, mais c’est lui-même qui se sentait vaciller en voyant le barbare regarder avec amusement son moignon cautérisé. Guntter apparut à ses côtés et gloussa fortement en le regardant.
- T’inquiète pas, gamin, Crom lui a donné suffisamment de force pour utiliser son arme qu’à une main !
L’amputé réussit à sourire de fierté malgré la douleur qui habitait tout son être, les autres barbares éclatèrent de rire et Turjvil se força à sourire poliement malgré le dégout que tout cela représentait pour lui.
Le groupe reprit rapidement son chemin vers la grotte éclairé. D’autres éboulements eurent lieu mais aucun ne les atteignit. Pourtant, alors qu’ils avaient bientôt atteint le bout de la corniche, Turjvil entendit son ami pêcheur hurler. Il se retourna aussitôt et vit sa silhouette disparaître dans le vide, l’important tas de neige qui l’accompagnait indiquait qu’il avait glissé dans l’obscurité. Les guerriers se penchèrent tous dans le vide pour regarder le corps hurlant disparaître dans le noir et s’écraser probablement plus bas aux alentours du village. Le jeune pêcheur se colla contre la paroi, à la fois prit entre la terreur et la peine qu’il ressentait pour la disparition de son compagnon.
Un des barbares se tourna vers lui.
- Fait pas cette tête, il a probablement réussit à percer la glace de votre lac !
Les rires gras des autres barbares résonnèrent et le jeune homme resta paralysé contre la paroi, sans qu’une réponse censée lui vienne à l’esprit.
Seules les mains puissantes de Guntter lui permirent de continuer. Ils finirent par sortir de la corniche et se retrouvèrent sur un chemin plus aisé à pratiquer. Les barbares mirent encore une heure pour rejoindre la grotte. Ils s’arrêtèrent peu avant l’entrée de celle-ci et Leoben pénétra seul à l’intérieur.
Turjvil attendit au milieu des guerriers et entendit ces derniers discuter de femmes de leurs villages, comme s’ils étaient encore à la taverne. Il avait envie de pleurer mais sut que si ces hommes le voyaient faire, ils le tueraient à l’instant pour cette faiblesse. Le pêcheur se blottit donc dans ses propres vêtements et pria pour que la visite de Leoben ne dure pas.
Ses prières furent entendues, Leoben ressortit de la grotte au bout d’une dizaine de minute. Une toute nouvelle détermination se lisait sur son puissant visage. Il rejoignit le groupe et ses compagnons se levèrent à son arrivée. Leoben leur fit signe de retourner en bas, en silence.
Ils redescendirent donc la montagne, empruntant de nouveau l’étroite corniche. Il n’y eu point d’incident et les barbares retournèrent à l’entrée du village alors que le soleil se levait. Turjvil les guida vers un endroit abrité et regarda nerveusement en direction de son village, craignant de voir la dépouille de son compagnon. Guntter enleva la neige de son manteau et regarda Leoben.
- Quels étaient les mots du sage ?
- Nous partons pour le Sud et devons emmener tout les frères d’armes que nous pouvons avec nous.
L’intonation de la voix du héros Cimmérien fit frissonner Turjvil. Il se tourna vers eux et constat que les guerriers arboraient désormais une expression solennelle qui faisait écho à la détermination nouvelle de leur chef. Guntter reprit la parole.
- Qu’il y a-t-il au Sud ?
Leoben lui posa sa main puissante sur la large épaule de vieux compagnon.
- La Guerre, mon ami, la Guerre contre les Neufs Loups de la Nuit